Chez Loulou

L’Histoire de Chez Loulou est riche et s’inscrit dans celle du quartier Beaubourg, qui n’a pas attendu le Musée qui y trône aujourd’hui pour être un quartier des arts et des lettres.

Le Plateau Beaubourg

Situé entre les anciennes Halles de Paris et le quartier du Marais, le quartier Beaubourg est nommé « Beau Bourg » par dérision tant il était pauvre et mal famé alors que la paroisse de l’Eglise Saint-Merri en plein centre du quartier était extrêmement riche.
Dans ce quartier Beaubourg se sont installés de nombreux métiers et corporations qui y travaillent le jour : aiguilliers, attachiers, bouchers, bourreliers, confiseurs, coulissiers, couteliers, corroyeurs, crieurs, verriers, mais aussi usuriers et changeurs. La nuit venue le quartier se transforme en centre de tous les divertissements avec ses théâtres, ses cabarets, et ses filles de joie. C’est un quartier de petits immeubles et de ruelles étroites où se masse une population majoritairement ouvrière et pauvre, avec des enclaves proches du bidon-ville. Mais aussi quelques demeures très riches de mécènes et d’artistes.

Car dès le XVIe siècle, le quartier acquiert un renom littéraire et artistique de tout premier plan. Il fut le quartier des écrivains et des poètes. Boccace, Gérard de Nerval ou encore Robert Desnos naisse à Beaubourg. Victor Hugo y situe une partie de son roman Notre-Dame de Paris et des Misérables. Restif de la Bretonne y raconte les Nuits de Paris. Honoré de Balzac y installe César Birotteau. Gérard de Nerval y rencontre Aurélia. Robert Desnos et Guillaume Apollinaire le racontent en vers. André Breton le prend à témoin dans Lamour fou et dans Arcane XVII. Le plateau Beaubourg est l’objet de tous les fantasmes et le lieu possible pour tous les excès. Riches comme pauvres viennent s’y encanailler. Culture et luxure s’y mêlent et s’inspirent.

En 1832, une épidémie de Choléra frappe Paris, et tue 18 000 parisiens, sur les 800 000 habitants que compte la capitale à l’époque. Particulièrement touchés sont les quartiers pauvres comme le plateau Beaubourg, considéré alors comme l’îlot insalubre N°1 de la Ville, parmi les 9 îlots désignés dans la capitale. Une seconde épidémie de Choléra en 1849, et une épidémie de Tuberculose de plusieurs années à la fin du XIXe siècle (tuant plus de 80 000 parisiens par an) achève de pointer les quartiers, comme celui de Beaubourg, comme la source de tous les maux. Le Baron Haussmann, qui entreprendra les grands travaux de Paris, aura pour cible principale de la démolition les quartiers aux ruelles étroites qui sont pour lui le creuset de tous les germes. On nomme les immeubles de ces îlots « maisons meurtrières », et leurs habitants et leurs « mœurs » désignés comme les responsables de la propagation des épidémies.

A l’époque, on pense que les bacilles responsables de ces épidémies prolifèrent à l’ombre et ne survivent pas au soleil. Il faut donc faire entrer la lumière dans ces quartiers pour vaincre les épidémies. A partir de 1909, le quartier commencera à voir ses immeubles détruits au profit de nouvelles avenues et rues plus larges et de places pour faire entrer l’air dans le quartier et la lumière dans les rues. L’actuelle fontaine Stravinsky, à côté du Musée Pompidou, était jusqu’alors un ilot d’immeubles dédié à la prostitution, dont les fenêtres s’éclairaient de petites lanternes la nuit, à destination des clients. Si vous voulez vous faire une idée de ce à quoi ressemblaient toutes les rues du quartier, il en reste une, la rue de Venise, dont l’étroitesse vous donnera à imaginer ce à quoi pouvait ressembler un quartier entier fait de ces ruelles en meurtrières où l’on ne peut croiser quelqu’un sans le toucher. C’était le paradis du racolage et des dérobeurs de bourses.

En 1930, tout l’ilot aujourd’hui occupé par le Musée Pompidou est promis à la destruction, au profit d’un projet d’agrandissement des Grandes Halles toutes proches, depuis longtemps à l’étroit. D’autres sont partisans d’en faire un quartier de résidence huppé, avec des immeubles hauts et des jardins. D’autres encore, veulent appliquer le plan proposé par le jeune architecte Le Corbusier et le Constructeur Voisin au Salon des Arts Décoratifs de 1925, qui propose de raser complètement le Marais, le Sentier, le plateau Beaubourg, les Halles, la Bourse du Commerce et tout le 3e arrondissement, jusqu’à la Place de la République, pour y installer une série de 24 gratte-ciels pouvant loger 500 000 habitants, entourés de jardins.

Aucun des projets n’est choisi, mais les habitants du plateau Beaubourg sont tout de même expropriés en 1932 et la démolition des immeubles débute. En 1937, le plateau est un terrain vide. Tous les projets de construction sont au point mort, faute d’argent, suite à la crise de 1929 et au coût des expropriations. Il y eut bien un projet de stade en 1937, sur l’emplacement de la fontaine Stravinsky, quelques gradins furent installés, mais guère plus, et le stade ne fut jamais construit, faisant de la place un terrain de jeux géant pour les enfants du quartier. En 1939, la seconde Guerre Mondiale éclate, et la priorité n’est définitivement plus à aménager ce quartier.

Mais les démolitions toujours en cours ont donné un nouveau souffle au quartier. Le plateau de Beaubourg, maintenant vide, sert de Parking aux Commerçants des Halles, et la rue Rambuteau devient un lieu de passage très prisé. C’est une crèmerie qui investit le 63 rue Rambuteau, et en plein époque Art Déco commande un décors en mosaïque dorée, dont le plafond aujourd’hui atteste de la beauté d’alors. Ce sublime vestige du Paris des années 30, que l’on peut encore admirer aujourd’hui, sera classé aux Patrimoine Historique dans les années 80.

En 1957, l’automobile envahit la capitale et le plateau Beaubourg est pavé pour devenir un immense parking à voitures, qu’il restera pendant 15 ans.

En 1971, Les Halles de Paris sont démolies, pour créer un centre commercial, et une grande gare de RER, et Rungis est créée en banlieue pour remplacer ce grand marché de Paris qui ne pouvait plus grandir. De l’autre côté de la rue Rambuteau, dès 1972, le parking du plateau Beaubourg est détruit et creusé pour accueillir les fondations du futur Musée Pompidou, achevé en 1977. Dans le même temps, tout l’îlot a côté du Musée est détruit pour construire le quartier de l’Horloge, inauguré en 1979. Et en 1983, la fontaine Stravinsky ou Fontaine des Automates, créée par Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle en homage à l’oeuvre musicale de Stravinsky est installée.

Le quartier devient alors le coeur battant de Paris, entre les touristes qui déferlent sur le musée, et la banlieue qui converge par le RER aux Halles, la rue Rambuteau voit ses commerces changer pour des restaurants et des bars. C’est ainsi que le 63 rue Rambuteau, devient un restaurant, qui passera entre plusieurs propriétaires. Ces dernières années, l’adresse sera connue pendant près de 15 ans sous le nom de Chouchou, restaurant de cuisine française et orientale, bien connu pour ses couscous à petits prix et comme adresse où l’on peut diner même très tard, et souvent en musique live. Le propriétaire de l’époque est Shahir Felifel, cadet de la fratrie. Les Felifels sont depuis quelques années des incontournables de la restauration du centre de Paris. En 2019, le restaurant Chouchou déménage sur le boulevard Sébastopol et c’est Franck dit Loulou, ainé de la fratrie, qui reprend le restaurant de la rue Rambuteau à son frère et le baptise « Chez Loulou ».

Chez Loulou – art et jazz

A son arrivée, Loulou est fasciné par la beauté de la mozaïque protégée au plafond et veut lui redonner de la visibilité et renouer avec le passé du lieu.

Il fait entrer dans l’aventure un chef Français, pour élever les standards gastronomiques du lieu, et réinventer la carte.

Et pour l’image et le décors, il fait appel à Jérôme Liniger, designer Suisse, installé dans le quartier des Halles depuis 25 ans, directeur de l’agence Si .
Ce dernier va se plonger dans le passé et le présent artistique du quartier, jouant d’un design rétro des années 30, et prenant en charge la direction artistique du lieu, redécore tout le restaurant d’une collection d’œuvres emblématique de l’art moderne, du « Ready Made », du Dadaïsme, de La Factory et même quelques artistes contemporains vivants : se répondent d’un mur à l’autre, Magritte, Warhol, Klein, Duchamp, Man Ray, autour des grandes toiles inspirées de l’œuvre de Robert Delaunay qui occupaient déjà depuis des années les murs du restaurant. Tristan Tzara déploie son manifeste Dada, de mur en mur. Concerts et évènement d’arts vont à nouveau faire vibrer les murs. Les poètes depuis longtemps chassés du plateau Beaubourg vont pouvoir y revenir, et donner de la voix, du vers.

A deux pas du Musée Pompidou, c’est un nouveau lieu qui se dévoile, bistrot des arts, et héritier des cabarets où les artistes, enfants terribles du plateau, se retrouvaient, créaient et festoyaient.